premières du 07 au 18/11/23 au Rideau (Bruxelles) et du 05 au 09/12/23 au Jean Vilar (Louvain-la-Neuve)
« Ce n’est pas nous qui vieillissons, c’est le temps qui vieillit. Il vieillit même plus vite que nous. Le sait-il ?
mais il a l’air pressé de prendre fin. Nous mourrons de toute façon infiniment jeunes ». – Jean Baudrillard
Plonger dans la chair d’une femme de 74 ans comme on entre dans une forêt. Déambuler dans ses sensations physiques, ses souvenirs corporels, les méandres de sa mémoire. Ressentir la richesse et la complexité de son existence. Rencontrer Annette.
Il y a des rencontres qui vous marquent à jamais. Il y a cinq ans, Clémentine fait la connaissance d’Annette et cela bouleverse son rapport au monde. Profondément humaine et sensible, Annette fait fleurir les gens autour d’elle. Indomptable, emplie d’un insatiable désir d’ailleurs, elle a toujours fini par déserter les rôles dans lesquels elle était prise (mère, épouse, femme), non par choix militant ou politique, mais parce qu’il lui était impossible de faire autrement. Intimement elle n’y arrivait pas.
Au cours de nombreux entretiens, Annette offre à Clémentine plus de 70 ans de vécu intime et de ressentis. Comment partager en retour le cadeau de cette mémoire donnée ? En convoquant Annette sur scène et en tissant ses souvenirs à des mondes fantasmés, ce portrait en format paysage propose un autre regard sur la vieillesse, comme une nouvelle jeunesse et une libération.
Entre exploration philosophique et fête de carnaval, entre récit intime, testament et danse collective, Annette n’est pas tant un récit biographique qu’un hommage aux multitudes que nous sommes, à nos métamorphoses et à nos renaissances.
Le récit d’Annette n’est pourtant pas toujours doux, défendable ou facile à entendre. Annette est une femme qui a déserté sa place de femme. Qui a systématiquement déçu les attentes qui reposaient sur ses épaules de fille, de compagne, de mère, d’amante, de vieille. Qui un jour n’a plus répondu à l’appel. Qui est partie, à répétition. Qui a laissé derrière elle ses enfants en bas âge, son foyer, ses couples. Qui, finalement, au sens de Monique Wittig, n’est pas « une femme ».
Cette impossibilité à rentrer dans le cadre malgré maintes tentatives, cette faculté à se détacher progressivement de ce qui est ordinairement accepté par défaut, et ce à une époque où les récits alternatifs circulent encore trop peu, dessinent la vision d’une femme puissante et fascinante, en irréductible quête d’émancipation. Une femme sans compromis, qui accepte de déplaire pour être à l’écoute d’elle-même.
Cette intimité, éminemment politique même si elle ne le nomme pas, est au cœur de ce projet qui se veut l’histoire non pas d’Annette mais de son corps. De son expérience incarnée du monde : de son souffle, de ses organes et tissus, de ses cicatrices, de ses jambes, de ses ongles, de son rythme cardiaque. Auprès d’Annette, j’ai eu accès à ce qu’ont été les ressentis d’une femme, entre 1950 et aujourd’hui ; quand, au pensionnat catholique, elle doit se laver toute habillée pour ne surtout pas toucher sa peau ; quand elle se perçoit, face au modèle Françoise Hardy comme « un boudin, un thon, une mocheté, une paire de gros lolos » ; quand à sa mise en ménage dans un appartement au 3ème étage, l’arrivée d’une machine à laver « bien plus lourde qu’une alliance : trois hommes pour la porter » la fait pleurer pendant une semaine ; quand elle avorte ou qu’elle fait des fausses couches à répétition ; quand on lui pose sa nouvelle-née sur le ventre et qu’elle ne ressent « rien » ; quand elle tombe enceinte alors même qu’on vient de lui ligaturer les trompes ; quand elle fait pour la première fois un câlin à son fils, déjà petit garçon ; quand son nouveau compagnon lui offre des sous-vêtements « féminins » et que la sensation de la soie sur son corps la fait bouger différemment dans la rue ; quand sa préméditation elle fait l’amour avec une autre femme à 45 ans ; quand à 50 ans elle décide de s’offrir « le temps », une mise à disposition totale du présent ; quand la ménopause arrive et qu’elle se bat dans le métro ; ou quand sa vie de célibataire depuis des années ne lui permet plus d’avoir accès « à la tendresse ».
« Annette », c’est une histoire de mémoire, d’héritage et de résistance. C’est aussi un bout de la grande Histoire, de l’histoire de la Belgique, de l’après-guerre à nos jours. Surtout, c’est un autre corps à écouter et à rencontrer, tandis que brûle la nécessité politique tout autant qu’esthétique de travailler à des dispositifs scéniques exposant d’autres réalités que la dominante, et d’autres singularité complexes afin d’inscrire leur présence dans l’espace de la représentation.
Avec Annette Baussart, Clémentine Colpin, Pauline Desmarets, Ben Fury, Alex Landa Aguirreche et Olivia Smets
Equipe Camille Collin (scénographie et costumes), Cinzia Derom (confection des costumes), Sara Vanderieck (dramaturgie), Noé Voisard (création sonore), Nora Boulanger Hirsch (création lumière), Anna Teresa Barboza (visuel)
Conception et mise en scène Clémentine Colpin
Assistanat à la mise en scène Pauline Desmarets
Co-conception et collaboration artistique Olivia Smets
Diffusion Le Rideau
Coproduction Le Rideau, Compagnie Canicule, l’Atelier Théâtre Jean Vilar et La Coop ASBL
Soutiens La Fédération Wallonie-Bruxelles- Direction du Théâtre, le Théâtre des Tanneurs, le Centre des Ecritures Dramatiques Wallonie-Bruxelles, la SACD, la Tour à plomb, le Centre Box120, Charleroi Danse / La Raffinerie, SEN – Studio Etangs Noirs, Shelterprod, Taxshelter.be, ING et le Tax Shelter du gouvernement fédéral belge.